Cinquante ans de passion à la française
Qu’il soit musicien, peintre, sculpteur ou danseur, un artiste trouve sa clé vers l’expressivité dans la qualité de sa technique. De même, les luthiers associent expertise et imagination pour que les rêves deviennent réalité. Chaque harpe Camac est l’aboutissement unique d’une longue chaîne de savoir-faire, de recherche et de passion.
1972 : Création de la Société Camac
Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’élite intellectuelle des Bretons de Paris adopta l’histoire de la harpe irlandaise comme une partie du renouveau pan-celtique et comme un symbole de résistance. En effet, les Irlandais avaient dû brûler leurs harpes lors de l’invasion anglaise et ceux qui conservaient secrètement leurs instruments le faisaient au péril de leur vie. Pour les Bretons de Paris, la harpe devint un symbole de résistance contre un État français toujours plus centralisateur. La harpe avait aussi gagné en popularité en Bretagne depuis le XIXe siècle, grâce aux visites de harpistes venus d’autres pays celtiques.
Dans les années 1970, en France, la musique traditionnelle était partout, grâce au revival venu des États-Unis via la Grande-Bretagne. Il devint vite évident que la demande sur le marché français impliquerait bientôt la nécessité d’une production locale de masse, en plus d’une production artisanale et d’une importation. L’engouement général pour la musique folk et celtique s’étendait aussi à la musique sud-américaine, et Gérard Garnier décida de se lancer dans la fabrication de flûtes amérindiennes. Leur succès dépassa rapidement toute prévision. Il suggéra alors à son frère aîné, Joël, de l’aider en prenant les rênes commerciales de l’entreprise. Pendant l’hiver 1971-1972, ils installèrent leur atelier dans un grand hangar à La Richerais, où Camac se trouve toujours aujourd’hui. Le nom vient de « Pachacamac », dieu de la mythologie quechua (Pérou) dont le nom signifie « créateur, celui qui donne la vie ».
Novembre 1972 : La Bardique, première harpe Camac, est née
Camac commença à élargir sa production pour attirer plus largement les personnes du mouvement folk. En plus des flûtes indiennes, ils se mirent à fabriquer des vielles à roue, des épinettes des Vosges, des cornemuses écossaises, des dulcimers, des bombardes et des binious.
Suite au succès d’Alan Stivell et sa « Renaissance de la Harpe Celtique », Gérard et Joël Garnier commencèrent à s’intéresser à cet instrument. Dans un premier temps, il n’était pas question d’en produire. Ils se rapprochèrent d’un facteur japonais, seul fabricant à l’époque capable d’assurer la production d’un grand nombre de harpes celtiques. En 1972, le premier modèle de harpe Camac fut proposé à la vente, la « Bardique », un instrument avec une caisse de résonance parallélépipédique. Alan Stivell a joué l’une de ces harpes sur scène.
Quelques années plus tard, Joël Garnier portera un regard sévère sur ces premiers instruments : « si les harpes n’étaient pas laides, la fiabilité des instruments laissait vraiment à désirer. Honnêtement, elles étaient médiocres. A quel moment ai-je commencé à m’intéresser sérieusement à la harpe et à ses contraintes ? Je mis un point d’honneur à rencontrer le plus de harpistes possible. Petit à petit, j’ai découvert la harpe, sa musique, les harpistes eux-mêmes, et je me suis mis à les aimer véritablement. En plus, le fait qu’à cette époque 95% des harpes celtiques étaient des modèles japonais représentait un défi que je voulais relever. »
1976 : Naissance de la première harpe celtique Camac
C’est en 1976 que naît la première harpe celtique Camac. Cet instrument était une évocation de ce que l’on a longtemps appelé la harpe « irlandaise ». Il s’agissait d’un modèle 32 cordes en multiplis, conçu avec les conseils de Mariannig Larc’hantec, l’une des pionnières de l’instrument en Bretagne, formée, comme beaucoup, à la Telenn Bleimor.
Après la Morgane, Camac a rapidement ajouté les premiers modèles de Mélusine à son panel de harpes celtiques, ainsi que la Brocéliande qui n’est maintenant plus fabriquée. En quelques années, l’entreprise en est arrivée à occuper plus de 95% du marché de la harpe celtique en Bretagne.
1984 : présentation du prototype de l’ÉlectroHarpe
Dans les années 1970, le mouvement folk-rock est en plein essor, et il était donc devenu essentiel de pouvoir amplifier la harpe. Le groupe qui accompagnait Alan Stivell était composé de guitares électriques, d’une batterie et d’instruments celtiques très puissants comme les cornemuses ou la bombarde bretonne. L’utilisation de micros externes s’est vite révélée être une solution vouée à l’échec. D’un point de vue pratique, il était impossible de prendre uniquement le son de la harpe et les micros captaient nécessairement le son des autres instruments. De plus, même à un niveau de volume assez bas, les larsens compliquaient grandement la tâche des ingénieurs du son.
D’où l’idée d’installer un micro directement dans la caisse de résonance, ce qui permettait d’obtenir un résultat plus net. Le monde de la harpe doit à l’entreprise Salvi la conception de la première harpe à pédales amplifiée ; il est aussi important de souligner le travail de recherche de certains harpistes dans ce domaine, notamment Andreas Vollenweider.
Après quelques années, et malgré certaines avancées dans le domaine des harpes électroacoustiques, les larsens et les bruits extérieurs étaient encore bien trop fréquents, en fonction de l’emplacement des capteurs sur la harpe ou des enceintes sur scène. Alors Joël Garnier a eu l’idée de créer une harpe sans aucune caisse de résonance.
Une nouvelle harpe « solid-body » a été construite, sans caisse de résonance ni table d’harmonie, et équipée d’un micro piézoélectrique à chaque corde. Ce système de prise de son est très différent d’un micro magnétique, et Camac l’a choisi pour son son pur, naturel et rond. Joël Garnier et Kristen Noguès ont présenté l’Électroharpe au Festival d’Édimbourg, puis au Congrès Mondial de la Harpe à Jérusalem. Alan Stivell la joue sur son disque « Harpes du Nouvel Age », et à cette même époque, cet instrument fut adopté par les célèbres harpistes écossaises Patsy Seddon et Mary MacMaster, avec l’immense succès que l’on connaît.
1985 : Harpe à Mémoire
Camac recevait de plus en plus de demandes pour des harpes à pédales de la part de divers harpistes. Y voyant un marché prometteur, Joël Garnier répondit dans un premier temps aux attentes des clients en leur proposant des harpes américaines importées de Chicago et des harpes russes fabriquées à Saint-Pétersbourg. Il en vint ensuite à fabriquer ses propres harpes classiques.
Il s’inspira pour cela de modèles existants. Il commença par se faire la main sur des harpes simple-mouvement de type tyrolien. Rapidement, il va survoler les étapes, car l’un des principaux traits de caractère de Joël Garnier est de toujours innover techniquement, parfois de façon drastique, dans la fabrication de ses instruments. En 1981, constatant que « la fabrication d’une harpe classique est plutôt archaïque et que l’on peut certainement la faire évoluer », il lui vint l’idée d’un instrument profondément révolutionnaire : une « harpe à mémoire » contrôlée par ordinateur, avec un mécanisme hydraulique. Sur une harpe classique, les demi-tons sont obtenus grâce aux sept pédales situées dans le socle de l’instrument. Ce que Joël Garnier imagine à ce moment-là n’est rien moins qu’un système permettant de programmer les changements de pédales au sein d’un morceau : « la mécanique traditionnelle est remplacée par un système par fluide, les fourchettes sont remplacées par des micro-vérins hydrauliques, et les pédales sont équipées de détecteurs électriques. Enfin un micro-ordinateur permet aux harpistes de changer instantanément les sept pédales dans toutes les directions, et il existe en plus un programme « improvisation » pour paramétrer différentes combinaisons de pédales. »
On peut facilement imaginer les implications que cet instrument aurait pu avoir pour un harpiste sur scène, ou pour l’enseignement de l’instrument. Mais sans doute Joël Garnier, qui ne connaissait pas encore très bien le monde de la harpe classique, avait-il voulu aller trop loin, trop vite. Le projet ne pouvait trouver qu’une fin subite, ce que Jakez François a décrit comme le « Concorde de la harpe » : un Concorde qui ne devait jamais prendre son envol.
Présenté à Jérusalem en 1985 lors du Congrès Mondial de la Harpe, le prototype (dont le budget se chiffrait en millions de francs) fit sensation. Mais tout compte fait, il s’avéra impossible à réaliser commercialement. S’il faisait preuve de prouesses techniques indéniables, il s’avérait cependant peu fiable, et le coût de fabrication était exorbitant. De plus, la technologie embarquée rendait l’instrument beaucoup plus lourd, et donc plus difficile à transporter et à utiliser. Camac a donc fait don de cet instrument au Musée de la Musique à Paris, où il est exposé dans la section « Instruments du XXe siècle ».