Le blog des Harpes Camac
En attendant le Festival Camac : J-2 !
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14 octobre, 2015
Le Festival Camac ne commence qu’après-demain à Nancy, mais nous sommes déjà sur place, et les répétitions pour la grande soirée de vendredi autour des plus beaux concertos ont débuté. Aujourd’hui, nous vous proposons un enregistrement réalisé par Elinor Bennett sur harpe triple galloise. Elinor jouera samedi après-midi dans le cadre du Festival, pour un concert sur instruments historiques (dont la harpe triple que Jakez a mis si longtemps à trouver !).
Au cinquième jour de notre décompte, nous avons eu la chance d’entendre le concerto de Haendel interprété par Valérie Milot sur son Atlantide. La harpe triple était en réalité le seul type de harpe que Haendel ait jamais connu et, à l’origine, le Concerto en Si bémol a été composé pour cet instrument. Nous savons que le virtuose aveugle John Parry a interprété le Concerto de Haendel sur harpe triple (il existe des textes le confirmant, décrivant le harpiste par exemple à Londres en 1741), et il a probablement joué aussi pour Haendel à diverses occasions, étant souvent à Londres avec son protecteur, Sir Watkin Williams Wynn. Sir Watkin était un parlementaire influent, qui possédait des propriétés à Ruabon et à Londres, et « le Harpiste Aveugle » a pu bénéficier d’une notoriété plus importante et plus cosmopolite que la plupart de ses contemporains, à une époque où de nombreux harpistes menaient une existence pauvre. Sa cécité a eu peu d’incidence sur sa carrière musicale : il voyagea beaucoup et donna des concerts à de nombreuses reprises à Londres, Cambridge, Oxford, Leeds et même Dublin.
John Parry est également considéré comme un pionnier en matière d’édition de musique galloise. L’enregistrement qu’Elinor a réalisé et que nous vous offrons aujourd’hui est une pièce intitulée « Nos Galan » (« Réveillon du Nouvel An »), extraite de l’important recueil British Harmony (1781) de John Parry. Cet ouvrage comporte 42 ballades, chants de Noël, mélodies populaires galloises et pièces pour harpe, dont 33 étaient jusqu’alors inédits. D’autres recueils, comme le Welsh, English, Scotch Airs with variations de 1761, étaient plus proches du style musical de l’époque que de la musique traditionnelle galloise.
John Parry a composé et interprété à la fois de la musique « savante » et de la musique traditionnelle. De même, la Harpe Triple est largement considérée comme étant un instrument gallois, mais cela est dû plus à une adoption culturelle délibérée, qu’à une tradition ancienne. Cela rappelle quelque peu le renouveau celtique en Bretagne, qui a en fait débuté dans le milieu intellectuel parisien dans les années 1950. La harpe triple fit d’abord son apparition en Italie à la fin du XVIe siècle. Elle succéda à la « Arpa Doppia » à deux rangées de cordes, et devint prépondérante dans les milieux musicaux français et italiens. Cet instrument n’était certainement joué que dans le monde aristocratique: Martin Mersenne écrit dans son « Harmonie Universale » de 1636 que c’était la harpe de l’élite intellectuelle.
C’est le harpiste français Jean Le Flesle qui a introduit la harpe triple à la cour de Charles Ier d’Angleterre (1629 – 1641), et quand Charles II (1649 – 1685) monta sur le trône, l’instrument était devenu incontournable à Londres. Il fut rapidement adopté par les harpistes gallois à Londres à la fin du XVIIe siècle – début du XVIIIe siècle, et rapporté au pays de Galles : ce n’est qu’à cette époque que cet instrument vint à être considéré comme la « harpe galloise ». Un siècle plus tard, la société galloise marginalisa cet instrument : les fanatiques religieux étaient alors en croisade contre tout ce qu’ils considéraient comme des vestiges du diable, et comme la harpe était à ce moment-là associée aux pubs, à la fête, à la danse et aux chansons paillardes, un grand nombre de harpes triples furent brûlées. La harpe triple fut conservée par des harpistes gitans avant d’être à nouveau adoptée plus tard par des membres de la haute société, dont Lady Llanover au XIXe siècle. Après le décès de Lady Llanofer en 1896, plus aucune harpe triple ne fut fabriquée au pays de Galles jusqu’à la fin du XXe siècle, les harpistes gallois leur préférant des harpes double-mouvement.
Malgré tout cela, la harpe est toujours restée l’emblème national du pays de Galles. « La harpe, sous toutes ses formes, est notre instrument national », dit Elinor. « Au pays de Galles, quand j’étais petite, je me souviens qu’on ne faisait aucune distinction entre les différents styles de musique. Je pouvais enchaîner un air traditionnel et une pièce de Mozart, jouer une chanson galloise arrangée par John Parry ou John Thomas puis interpréter une oeuvre de Scarlatti ou de Dussek. »