Le blog des Harpes Camac
De Marie-Antoinette à nos jours – exposition de la Collection Camac
Actualités
30 juin, 2017
La Collection Camac est une collection privée de presque soixante harpes historiques. Elle a déjà fait l’objet d’expositions, notamment lors des festivités pour notre quarantième anniversaire à Ancenis en 2012 (où les harpes étaient accompagnées des textes de Laure Barthel) et lors de la dixième édition du Festival Camac à Nancy en 2015. En dehors de ces expositions temporaires, nos harpes historiques sont conservées dans une partie de nos ateliers de Mouzeil, dans un endroit où la température et l’humidité sont consciencieusement contrôlées. A partir du 1er juillet 2017, notre collection va élire domicile au sein du Château d’Ancenis.
L’exposition de notre Collection Camac est le fruit de notre collaboration avec la ville d’Ancenis et avec le conservateur Robert Adelson. Robert Adelson est musicologue et organologue, spécialisé dans l’histoire de la harpe. Professeur d’Histoire de la Musique et d’Organologie au Conservatoire de Nice, il a également été conservateur de la deuxième plus grande collection d’instruments de musique historiques en France, au Musée du Palais Lascaris, de 2005 à 2016. Avec l’historien du piano Alain Roudier, il s’est intéressé plus particulièrement à Sébastien Erard. Il est le co-directeur de publication de « The History of the Erard Piano and Harp in Letters and Documents, 1785 – 1959 », un ouvrage en deux volumes qui présente pour la première fois la plupart des documents concernant Erard et qui est le fonds le plus riche actuellement à la disposition des chercheurs et des amateurs de Sébastien Erard. Le Centre Sébastien Erard, mis en place avec Roudier, propose une mise à disposition virtuelle du fonds Erard et sa collection est actuellement en prêt auprès de l’Association Ad Libitum d’Alain Roudier.
“Jakez m’a appelé en janvier dernier pour me demander d’en devenir le commissaire d’exposition”, explique Robert, “mais en réalité, j’avais connaissance de sa collection depuis déjà une dizaine d’années. Nous nous étions rencontrés à Nice lors du bicentenaire de la harpe double-mouvement Erard. Comme de nombreux collectionneurs avertis, la première chose que Jakez m’a dite était : « Je ne suis pas vraiment un collectionneur. » Mais il faut avoir à la fois beaucoup de connaissances et un regard avisé pour parvenir à une telle collection. Les harpes ont été bien préservées à Mouzeil, et un grand nombre seront exposées pour la première fois à Ancenis.
Pour mettre en place cette exposition, je me suis d’abord rendu à Ancenis afin de prendre la mesure de l’espace. La taille est parfaite, ni trop grande, ni trop petite, avec quatre salles qui sont reliées, ce qui permet de nombreuses options quant à la manière d’organiser la visite. C’est important de mesurer l’espace attentivement, afin de pouvoir décider ce que nous pourrons mettre et où, et ensuite pouvoir étudier la collection en elle-même. Nous avons observé chaque harpe, nous les avons mesurées et photographiées (ce qui est tout particulièrement important pour les harpes qui ne sont pas signées). Nous avons également étudié leur état (certaines ont été restaurées, d’autres non, et il manque parfois certains éléments comme le cordage, ce qui les rend difficiles à exposer). Il faut également remonter l’histoire de chaque instrument, grâce à son numéro de série notamment, afin de trouver où elles ont été fabriquées, quand et par qui, ce qui aide aussi à déterminer lesquelles sont les plus importantes à montrer au grand public. Puis vient la rédaction du catalogue d’exposition.
Une fois les instruments sélectionnés, il faut aussi déterminer quelle est la meilleure façon de les présenter au public. Est-ce qu’on choisit un ordre chronologique, ou plutôt géographique, ou alors on les regroupe en fonction de leurs évolutions organologiques ? Nous avons principalement choisi ce dernier critère de façon à ce que le public puisse se rendre compte des différences de construction, même si nous avons également une salle dédiée aux harpes africaines et asiatiques qui sont regroupées plutôt par données géographiques.
Ce qui est unique dans cette collection, et qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, pas même dans des collections plus importantes, c’est que l’on peut suivre l’histoire de la harpe celtique. La harpe celtique est difficile à exposer en suivant le point du vue organologique car c’est un instrument ancré dans une tradition bien plus ancienne, mais dont il reste peu d’instruments datant d’avant le revival. Ce que tout le monde connaît sous le nom de « revival celtique » est un mouvement qui a débuté à Paris et en Bretagne dans les années 1950. A partir de cette période, la documentation (et bien sûr le nombre d’instruments conservés) est riche. Cependant, il s’agit en fait d’un deuxième revival, puisqu’un premier avait eu lieu en juillet 1792 lorsqu’un groupe de harpeurs s’étaient rassemblés à Belfast pour tenter de préserver leur tradition. La harpe John Egan de la Collection Camac date de cette époque.
Un aspect très gratifiant lorsqu’on met en place une exposition de harpes est qu’à la différence des autres instruments, la harpe a continué à être très décorée. Cela rend l’exposition très plaisante aux yeux du grand public, mais cela a également une valeur organologique. Les pianos, et en fait tous les autres instruments, étaient aussi décorés, mais cette pratique a cessé au milieu du 20e siècle. De nos jours, dans les salles de concert, on ne s’attend pas à autre chose qu’un piano noir. Pour une raison quelconque, cela ne s’est pas produit pour la harpe. Par exemple, certaines des harpes les plus anciennes de la Collection Camac sont des harpes françaises datant d’avant la Révolution, du temps de Marie-Antoinette (d’où le titre de notre exposition : « De Marie-Antoinette à nos jours”. Les harpes Naderman et Cousineau sont typiques du style Louis XVI. Elles ont été créées pour être assorties à l’ameublement ! Ce qui signifie qu’elles étaient faites pour rester dans un salon et non pour être rangées dans une malle. Le concerto pour flûte et harpe de Mozart a dû être joué dans ce genre de contexte.
Il est aussi possible de suivre les différents changements et évolutions du style décoratif d’un luthier. Erard en finit avec les hauts de colonne en volutes et invente le style Empire/Grec néo-classique. C’était devenu très à la mode à cette époque et Erard fut rapidement imité par d’autres luthiers. Il peut être difficile de discerner les divers luthiers au premier coup d’œil, mais il suffit de se pencher sur la mécanique pour faire la différence. Pierre Erard (le neveu de Sébastien Erard) a inventé la harpe gothique. C’était un instrument plus grand, plus lourd et décoré dans le même style qu’une cathédrale gothique (style populaire à cette période). Ce type de décoration apparaît ensuite aux Etats-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni, imitant Erard.
En Allemagne, au début du 20e siècle, un phénomène décoratif très intéressant apparaît également. Löffler fabriquait de très belles harpes, dont deux dans le style Bauhaus. La philosophie Bauhaus défend le fait que la forme suit la fonction. Les éléments fonctionnels de la harpe sont donc très présents et sont mis en valeur d’un point de vue décoratif, comme par exemple de grosses chevilles très brillantes. A partir du numéro de série de notre harpe Bauhaus, nous savons qu’elle a été vendue au Deutsche Oper à Berlin, donc il s’agissait très clairement d’un instrument de haute qualité. Thurau, héritier de la tradition Löffler, fabrique toujours des modèles Bauhaus.
Je pense qu’il est possible de constater également à travers cette exposition de quelle façon Les Harpes Camac sont les héritiers d’Erard. Bien sûr, de nombreux luthiers peuvent être considérés comme suivant les pas d’Erard, parce que son système de double-mouvement est toujours la référence aujourd’hui. Mais la mécanique n’était pas le seul trait marquant d’Erard : il était aussi un inventeur et un chercheur inépuisable, essayant constamment d’améliorer le son et la conception de ses harpes. Lorsque je regarde Jakez travailler, j’observe une obsession positive de la qualité que j’associe également à Sébastien Erard. Le titre de l’exposition est « De Marie-Antoinette à nos jours », mais peut-être devrions-nous dire « vers le futur ». L’aventure n’est pas encore finie.
Qu’on s’en rende compte ou non, en tant que musiciens concertistes, nous sommes toujours en contact avec la musique du passé. Si vous sortez vos partitions de votre sac, vous y trouverez certainement du Bach… La vie des musiciens classiques est liée à l’histoire et à une forme artistique qui date d’il y a plusieurs générations. Cela rend humble que de se situer dans une progression et de constater que le cours de l’histoire n’est pas toujours un long fleuve tranquille. »
Vous pouvez télécharger le catalogue ci-dessous. Mais, encore mieux, vous pouvez vous rendre à Ancenis pour voir l’exposition de vos propres yeux ! L’exposition ouvrira ses portes le 1er juillet 2017.
Trésors de la Collection Camac (PDF ; 10,8 MB)