Le blog des Harpes Camac
Le sponsoring et l’entreprise, entre perspicacité et affect
Actualités
29 juillet, 2015
Un homme sage devrait avoir de l’argent dans sa tête, mais pas dans son cœur.
Jonathan Swift
Une musicologue que je connais a un jour demandé à son « employeur » (elle était payée à l’heure en tant qu’assistante dans une Hochschule) s’il serait envisageable de lui confirmer qu’elle obtiendrait le contrat permanent qu’on lui promettait depuis sept ans. Il lui a répondu de « trouver un mari riche ». Je suppose que c’était vraiment sa vision des choses.
Mais cette vision n’est pas la seule existante ! Que l’on parle de salaire, de financement, de mécénat, de parrainage, de bourse ou de subvention, les musiciens ont toujours passé beaucoup de temps à penser à leurs finances. Nous investissons dans la musique en bien des manières et nous en retirons des richesses qui ne sont pas pécunières.
Chez Camac, nous ne sommes mariés à personne, mais nous accueillons avec joie les partenariats intéressants. Les plus importants restent bien sûr les collaborations directes avec les artistes. Nous avons également largement contribué à divers projets en cofinancement ou en financement participatif, et nous essayons de rester au fait des dernières opportunités..
Dans ce but, je me suis rendue à une conférence sur le financement menée par Ashoka, qui forme les « Changemakers », ces personnes qui trouvent des solutions créatives à différents problèmes et produisent un changement efficace. Un grand nombre de ces « changemakers » sont des entrepreneurs sociaux, des gens qui s’appuient sur leur entreprise pour créer un impact positif sur la société. J’ai beaucoup réfléchi récemment à ce modèle de travail, car il est finalement très proche de ce que les musiciens mettent en oeuvre depuis des siècles.
On peut définir la notion de financement comme étant une collecte de ressources nécessaires, qui ne peuvent être récoltées grâce à l’activité de marché. Mais même si c’est à sens unique, ou en tout cas une route qui n’est pas immédiatement ou pas complètement à double sens, il s’agit tout de même d’un partenariat. Le « financement » est ancré dans la solidarité. Quand les Pères Fondateurs embarquèrent sur le Mayflower en 1620, ils se promirent de se financer les uns les autres, de se soutenir dans cette grande aventure vers l’inconnu. Le financement reste un processus stable et progressif, qui repose autant sur des relations humaines que sur un chéquier.
Il y a différents types de financement. Parfois, on peut se dire que la réponse à toutes nos prières serait d’épouser un homme riche, mais un vrai financement peut mener à toutes sortes d’associations. La créativité est rarement floue, et il est également important de rester lucide concernant les possibilités qui s’offrent à vous. Le parrainage, par exemple, implique que les intérêts du sponsor apparaissent d’une façon ou d’une autre, alors qu’un don caritatif peut être totalement désintéressé, voire anonyme. Ou pas : la plupart des fondations ou des organismes délivrant des bourses ont des critères très précis pour choisir les projets qu’ils soutiennent. Il est donc important de réfléchir au type de financement qui correspondra le mieux à votre projet. Pour vous aider dans votre décision, de nombreuses ressources concrètes existent sur Internet, comme cette étude allemande concernant les donateurs privés que vous pouvez trouver sur le site Bilanz des Helfens, les conseils et ressources publiés par le British Arts Council et, en France, par le site Mon Projet Musique.
Il est aisé d’être pris dans une spirale d’enthousiasme organisationnel et de viser directement l’international, mais il est beaucoup plus avisé de commencer local, quitte à agrandir son champ d’action plus tard. « Plus local » signifie souvent aussi « plus adapté » : vous toucherez un meilleur public en visant local, et des organismes de financement locaux seront plus susceptibles d’être intéressés par votre projet. Il est aussi plus sage de mettre la plupart de son investissement, ainsi que ce que l’on gagne à partir de cet investissement, dans une économie. Ça fonctionne toujours mieux pour toutes sortes de raisons. Souvenez-vous : nous, facteur de harpes, avons des partenaires locaux.
Une fois vos partenaires financiers trouvés, ici ou ailleurs, le partenariat s’intensifie. C’est d’abord une histoire d’êtres humains aidant financièrement d’autres êtres humains. Le financement relationnel a été en premier défini par Ken Burnett en 1992 et avance l’idée d’une amitié authentique, personnelle et de longue durée entre les financeurs et les financés. D’un point de vue statistique, il est en réalité assez facile de trouver des financements pour un projet la première fois. Le réel enjeu est de parvenir à développer le relationnel à plus long terme.
Les théories qui naissent de l’expérience sont souvent les meilleures et alors que je n’avais jamais entendu parler de financement relationnel auparavant, je savais cependant par expérience que notre système de sponsoring avait toujours mieux fonctionné quand il était construit sur de vraies bases. Pour qu’un sponsoring avec un fabricant de harpes fonctionne, il est nécessaire que l’artiste fasse preuve d’un enthousiasme sincère pour les harpes du luthier, et que le luthier nourrisse un respect artistique en plus de ses préoccupations commerciales. Ainsi, un vrai dialogue peut s’instaurer avec les artistes concernant leurs projets, nos instruments… Nous prenons en compte leurs suggestions pour apporter des améliorations, et nous pouvons débattre de notre propre position avec eux en toute honnêteté. Nous nous réjouissons de leurs succès. « Nos » artistes deviennent véritablement nos amis, et c’est profondément gratifiant, extrêmement satisfaisant.
Ce qui est moins satisfaisant, c’est quand nous recevons des plaintes car nous et tel autre fabricant de harpe ne travaillons pas ensemble, alors que le projet serait tellement plus simple à financer si nous nous y mettions tous, pour la bonne cause. Comme vous pouvez le constater si vous venez faire un tour au bar du Congrès Mondial de la Harpe, nous partageons avec joie un verre avec nos collègues facteurs de harpe. Mais il est cependant rarement possible de co-parrainer un projet alors que nous sommes en concurrence directe. Non pas que nous soyions des requins aux dents longues, mais parce que cela serait une pratique commerciale stupide. Une bonne pratique commerciale est ce qui crée les moyens de financer les bonnes causes.
Un bon esprit d’entreprise n’est pas de fouiller à la base de l’échelle céleste de la moralité. J’ai eu des conversations fort intéressantes avec des institutions publiques qui avaient refusé d’héberger des événements que leurs professeurs de harpe voulaient organiser, juste à cause du lien avec notre entreprise. Pour vous donner un contre-exemple concret, l’Opéra National de Vienne est sponsorisé par Lexus.
Est-ce que tous les musiciens du Philharmonique de Vienne conduisent une Lexus ? Est-ce que envisagez l’opéra d’emblée comme une publicité pour Lexus ? Même si c’était le but de Lexus (en réalité, ils sont beaucoup plus intelligents que ça), ça ne fonctionnerait pas. Personne n’apprécierait venir passer un moment inoubliable à l’opéra et se voir, à la place, acheter une voiture. Il en va de même dans tout sponsoring artistique.
En tant qu’entreprise, un certain nombre de moyens financiers sont à votre disposition. Si vous le souhaitez, vous pouvez les investir dans une bonne cause, bénéficier d’une plus grande exposition, et tirer une grande satisfaction d’avoir fait une bonne action avec votre argent. Etre entrepreneur ne signifie pas n’avoir aucune valeur morale. Ni que nos préoccupations n’ont pas d’importance ou de valeur. Une relation d’affaires est, comme toute autre relation, à double sens, et fonctionne mieux dans l’intégrité, la confiance et le respect mutuel.
Prenez en considération les intérêts de votre sponsor : ce qu’ils veulent garantir, ce qu’ils ont à garantir. Créez quelque chose qui est bon pour vous deux. Dites merci (votre sponsor vous le dira aussi) et une fois le projet réalisé, ne disparaissez pas. Ce n’est pas être cupide que de revenir et de demander plus. Si c’est bien fait, ce n’est que l’étape suivante du partenariat. Et surtout, commencez avec ce en quoi vous croyez sincèrement. Dans notre monde, cela signifie : commencez par les harpes que vous préférez.