Le blog des Harpes Camac
Marcos Balter : « Omolu »
À la une
7 juillet, 2021
« Mission: Commission » est une superbe initiative du Miller Theater de l’université Columbia, à New York. Elle ne se contente pas de passer des commandes de nouvelles œuvres classiques, mais communique et démystifie le processus de composition. Leurs remarquables podcasts présentent le compositeur et l’artiste, discutant de leur collaboration. Il est intéressant de noter que la harpe est au centre de l’un des trois binômes, puisque Parker Ramsay créera Omolu de Marcos Balter.
Avance rapide jusqu’au début de 2021, où Marcos et moi nous rencontrions sur Zoom pour discuter modes de jeu et accessoires tels que tournevis, verres à eau, spatules – tous ces « trucs » que nous, harpistes, avons tendance à associer à la nouvelle musique. Nous travaillions rapidement, puisque nous avions six semaines pour collaborer à une nouvelle pièce pour le Miller Theatre de l’Université de Columbia. Le processus d’écriture de Marcos a été entièrement documenté dans Mission : Commission, un podcast qui retraçait le travail de trois compositeurs alors qu’ils créaient une nouvelle œuvre pour un soliste dans un court laps de temps. Mais au bout d’un moment, il a décidé de se passer des accessoires et des outils annexes. Au lieu de me faire changer ma technique, il m’a fait changer la harpe elle-même. En effet, deux semaines avant le jour de l’enregistrement, je recevais une pièce en scordatura : 10 cordes, couvrant normalement un intervalle d’une octave plus une tierce, étaient ramenées à une tierce mineure par intervalles microtonaux.
Dans ce genre de situation, l’esprit part dans plusieurs directions. Il y a d’abord le moment « Ouah ! », suivi très rapidement par le moment « Mais comment vais-je m’en sortir ? »
Si j’avais déjà rencontré la scordatura à l’octave inférieure dans Fidélité de George Apheghis, je n’étais jamais tombé sur une pièce nécessitant une telle quantité de scordatura comme dans Omolu.
Comme pour beaucoup de musique nouvelle, il n’y a pas de manuel pour expliquer comment faire. Vous devez procéder de façon empirique pour trouver comment amener la harpe à la destination indiquée par la partition.
Lorsque j’ai désaccordé certaines cordes à ce point, plusieurs problèmes sont apparus en raison de la réduction extrême de la tension. Premièrement, il n’y avait plus de projection. Deuxièmement, l’intonation n’était pas stable (un gros problème lorsque l’œuvre repose sur la microtonalité). Enfin, lors des changements de pédales, les fourchettes modifiaient la hauteur des cordes d’un ton entier voire plus, au lieu d’un demi-ton seulement. Il était clair que j’allais devoir remplacer certaines cordes.
Le moment clé pour résoudre la question, cependant, est arrivé en regardant ma harpe baroque dans un coin de la pièce. S’il y a une chose que j’ai apprise en donnant des concerts de musique ancienne, c’est que les matériaux que vous utilisez et la hauteur du diapason de votre instrument sont liés et peuvent fluctuer selon le concert, le répertoire ou la météo. Les gambistes et les luthistes jouent constamment avec le calibre et le matériau des cordes, essayant de nouvelles idées pour trouver comment faire sonner au mieux leur instrument.
Il y a quelques années, j’avais fini par augmenter le calibre de ma harpe baroque, car je jouais plus souvent de 392 à 415 plutôt qu’à 440, ce qui impliquait que les cordes soient plus tendues afin d’obtenir le même niveau de projection dans un endroit aussi humide que Manhattan.
Corde | Calibre | Hauteur |
4th Oct La | 146 mm | La♭3 (207.7hz) |
4th Oct Si | 140 mm | Si♭3 (233hz) |
4th Oct Do | 130 mm | Do♭3 (246.9hz) |
4th Oct Ré | 187 mm | La 3 (213.7hz) |
4th Oct Mi | 177 mm | Si 3 (239.9hz) |
3rd Oct Fa | 168 mm | Si 3 (254.2hz) |
3rd Oct Sol | 159 mm | La♮ 3 (220hz) |
3rd Oct La | 146 mm | La 3 (226.5hz) |
3rd Oct Si | 140 mm | Do♮ 3 (261.6hz) |
3rd Oct Do | 140 mm | Do 3 (269.2hz) |
Au-delà de la scordatura, il y a un autre sujet dans Omolu qui a nécessité une certaine réflexion. Marcos souhaitait un long passage utilisant des sons « multiphoniques » sur les cordes basses. Bien sûr, il y a plusieurs façons de jouer des sons multiphoniques, comme repérer l’endroit approprié sur une corde, se placer en position d’harmonique et jouer la corde avec le bout du doigt ou même avec l’ongle. Le résultat peut être satisfaisant, mais pas idéal si vous voulez un peu de virtuosité.
Et de même, la « défiguration » intrinsèque de la harpe (faute d’un meilleur terme) est ce qui permet d’accéder à quelque chose d’un autre monde. Parlez à de nombreux compositeurs, et la première chose qu’ils vous diront est « Je n’arrive pas à comprendre la harpe ». L’instrument est intimidant et ses limites, à première vue, le rendent difficile à traiter. Mais les vrais grands compositeurs pour la harpe sont ceux qui voient ses « freins » comme des opportunités, essayant des choses que je n’aurais pas imaginées moi-même pour la seule raison que je suis trop proche de mon instrument. Notre formation technique en tant que harpistes est longue et intense, mais elle peut s’accompagner d’une contrepartie : nous ne réalisons peut-être pas ce qui nous échappe quant au potentiel de notre instrument, jusqu’à ce que nous embarquions d’autres personnes pour le voyage. »