Le blog des Harpes Camac
L’histoire de nos tables d’harmonie
Actualités
14 septembre, 2015
« Rien n’est plus saint, rien n’est plus typique qu’un arbre, fort et magnifique. Quand un arbre est abattu et met à nu sous le soleil sa blessure mortelle, on peut lire toute son histoire à la lumière du disque gravé de son tronc : dans les anneaux de ses années, ses cicatrices, tout le combat, toute la souffrance, toute la maladie, toute la joie et la prospérité sont là, écrits en vérité, les années maigres et les années fastes, les attaques subies, les tempêtes endurées. Et n’importe quel gamin de la ferme sait que le bois le plus dur et le plus noble a les anneaux les plus serrés, que là-haut dans les montagnes et en perpétuel danger poussent les arbres idéaux, les plus forts, inaltérables ».
Hesse : Bäume. Betrachtungen und Gedichte
Les Arbres, Observations et Histoire
La table d’harmonie est l’âme de la harpe. Elle transforme la vibration des cordes en son. Les fréquences qu’elle crée, amplifiées par la caisse de résonance, définissent la qualité du timbre. Le musicien attend avec une grande impatience de voir comment s’adapte une nouvelle table d’harmonie, car c’est un peu comme si on donnait à un instrument une nouvelle voix.Pour une table d’harmonie de harpe, il n’y a pas meilleur matériau que l’épicéa, grâce au rapport exceptionnel entre son faible poids et sa très grande résistance. L’épicéa peut supporter une grande tension, sans pour cela être épais au point qu’il lui serait impossible de résonner sous les vibrations de cordes avec toute la sensibilité nécessaire. En effet, nos tables d’harmonie sont effilées en partant d’une épaisseur de 10 mm dans le registre grave d’une harpe de concert, jusqu’à 2 mm dans les aigus – et le tension totale des cordes sur cette table est supérieure à 2 tonnes ! Vous pouvez donc imaginer à quel point ce bois épais de quelques millimètres doit être résistant.Nous choisissons notre épicéa en collaboration avec notre partenaire Holzwerk Strunz, une entreprise familiale nichée au pied des Alpes, dont la spécialité est la production d’épicéa pour les instruments de musique, et ce depuis 1820. Sous la direction de Thomas Hilz, un descendant direct du fondateur, ils sont les meilleurs spécialistes en ce qui concerne la coupe de l’épicéa. Leur expérience de quasiment deux siècles dans la sélection méticuleuse et la coupe rigoureuse nous permettent de garantir la qualité de nos tables d’harmonie.
L’épicéa parfait pour nos tables d’harmonie doit avoir des cernes serrés et réguliers – c’est-à-dire qu’il doit provenir d’arbres arrivés à maturité, qui ont poussé très lentement pendant deux cents ans. Les arbres poussent beaucoup plus lentement sous des températures froides, raison pour laquelle l’altitude est primordiale. Pour nos tables d’harmonie, nous ne sélectionnons que des bois qui ont poussé au-dessus de 1000 mètres d’altitude, et qui proviennent d’exploitations raisonnées, certifiées PEFC exploitation durable. « En ce qui concerne le caractère durable de l’exploitation du bois, l’Autriche possède les lois les plus anciennes au monde » nous explique Thomas, « depuis plus de trois cents ans, nos lois exigent que l’on plante plus d’arbres qu’on en coupe ».
La certification PEFC pour la gestion durable des forêts certifie que pour chaque arbre coupé, de nouveaux seront replantés. Dans cette région d’Autriche, on ne coupe les arbres que lorsque de jeunes arbres ont déjà commencé à pousser, afin de ne jamais laisser la terre à nu.
Après leur sélection à flanc de montagne, les rondins sont emmenés à la scierie. Il faut souvent être patient – s’il y a trop de neige, les rondins et les troncs restent dans la montagne jusqu’à ce que les routes soient dégagées et praticables ! – et ensuite … Action ! Il faut découper les rondins rapidement car s’ils restent à la chaleur trop longtemps, ils développeront des taches bleutées. Celles-ci n’affecteraient pas la qualité acoustique, mais ne seraient pas acceptables d’un point de vue esthétique.
Le grain de l’épicéa idéal pour nos tables d’harmonie doit être très serré (parfois si serré que c’est à peine si l’on peut différencier les cernes), et cela n’est valable que pour les 12 à 15 premiers centimètres sous l’écorce. « Le cœur n’est pas utilisable » explique Thomas, « parce que le bois des arbres jeunes contient beaucoup de nœuds, et bien entendu, les nœuds restent au centre, à mesure que les arbres se développent et grossissent ». Une fois que la première coupe est faite « sur quartiers », une seconde coupe suit très rapidement. Au final, d’une centaine de rondins nous ne garderons qu’environ deux mètres cubes de matériau de première qualité pour nos futures tables d’harmonie.
Après ces deux premières coupes, le bois est séché doucement dans des étuves pendant une longue période, en fonction des épaisseurs. Le bois destiné aux tables d’harmonie doit être parfaitement sec car dans le cas contraire, il risquerait de rétrécir avec le temps. « Si le taux d’hygrométrie de l’épicéa est de 40% sur le lieu de coupe, il arrivera à 20% au niveau de la mer, et au cours du séchage, nous le descendons à 6% ». C’est le taux auquel nous sécherons de nouveau ce bois dans notre propre séchoir, après qu’il ait regagné un peu d’humidité au cours du transport. Le processus de séchage est très délicat ; mais s’il a déjà été amené à un taux d’hygrométrie de 6% une première fois, il est peu probable qu’il se fende au cours de cette deuxième opération. Pour les mêmes raisons, il faut laisser reposer le bois, tant chez Strunz qu’à Mouzeil, pendant au moins trois mois et dans un environnement de 7% d’humidité. C’est un gage essentiel de stabilité.
Une fois le temps de séchage et de repos à Strunz effectué, une troisième coupe intervient, pour éliminer les dernières imperfections du bois. Avant la livraison à Mouzeil, chaque découpe est marquée du signe de l’artisan qui l’a effectuée, afin d’assurer un suivi optimal et un contrôle permanent de la qualité.
A Mouzeil, à la fin de la seconde période de séchage et de repos, la construction des tables d’harmonie peut enfin commencer ! Tout d’abord, nous effectuons un ponçage de la face extérieure de la table brute pour la préparer au placage, dont le collage est réalisé ensuite. Cela fait, nous calibrons la table, ce qui est une opération particulièrement délicate car cet effilage doit être absolument précis et régulier. Ensuite, nous ajoutons la barre centrale de renfort – une barre de bois dur – où sont percés les œillets.
A l’intérieur de la caisse de résonance, les barres de renfort, ou contre-barres, jouent un rôle très important pour la solidité de la table d’harmonie. Nous appliquons aussi les barrages de table, pour en renforcer la rigidité. Cette rigidité est très importante pour la qualité et la précision du son, ainsi que pour la longévité de la harpe.
À la fin de ces nombreuses opérations de renfort, nous pourrons enfin procéder à la mise en place de la table d’harmonie sur la caisse de résonance – une opération extrêmement délicate, car déterminante pour le positionnement des cordes. Puis la harpe pourra passer à l’étape suivante dans le long processus de son assemblage.
C’est ainsi que même au lendemain de sa sortie de nos ateliers, l’âme d’une harpe Camac flambant neuve a en fait, déjà, plus de deux cents ans d’âge…