Le blog des Harpes Camac
Entretien avec Mariannig Larc’hantec
Actualités
17 septembre, 2016
Nous avons parlé dernièrement de Mariannig Larc’hantec et de son livre « La Harpe, Instrument des Celtes – Journal de bord d’un professeur de harpe celtique » paru en 2013.
Le CD, « A l’Aube de la Harpe Celtique », fruit de sa collaboration avec François Pernel, et dont nous aurons l’occasion de parler très prochainement, est également sorti récemment.
Rencontre avec cette « aventurière de la musique », harpiste et pédagogue passionnée et passionnante…
Comment vous est venue l’envie d’écrire le livre « La Harpe, Instrument des Celtes »? Etait-ce une idée que vous aviez en tête depuis longtemps ?
J’ai l’impression d’avoir vécu un moment qui à défaut d’être historique fut presque préhistorique. La harpe celtique n’existait que dans les mains de quelques néo-druides alors qu’elle germait dans l’esprit de quelques idéalistes. Elle est finalement venue au monde, fruit de la combinaison d’actions d’hommes en recherche identitaire, de musiciens et d’inventeurs. Une fois les premiers instruments sortis des mains des créateurs, des questions ont surgi, questions aussi simples que « comment joue-t-on ? » et une fois que l’on a à peu près compris cela, « qu’allons-nous jouer ? ». Ces interrogations sont à l’origine de ce qui se passe maintenant. Il se trouve que j’ai vécu cette période. J’ai aussi assisté de très près aux balbutiements de l’enseignement de la harpe celtique, à son entrée en institution. J’ai eu l’heur de discuter de son opportunité et de son avenir dans le paysage culturel, breton d’abord, français ensuite, ce qui a entraîné la problématique de la place de la musique dite « traditionnelle » dans les établissements d’enseignement de la musique. Il m’a semblé important de témoigner de ces combats maintenant que tout semble acquis et installé depuis – disent parfois mes élèves – la nuit des temps.
Quel regard portez-vous sur la harpe celtique aujourd’hui ?
Je suis émerveillée de voir ce que l’on a pu en faire en moins de 70 ans. Que ce soit sur le plan technologique, en termes de technique instrumentale ou dans le domaine du répertoire, les progrès sont colossaux. Ces 3 éléments avancent toujours ensemble, ils sont indissociables. Pour ce qui concerne la harpe celtique, les différents professionnels de chacun de ces éléments fédèrent dans une saine émulation, leurs savoirs et leurs inventions pour faire avancer notre instrument. Le nombre de personnalités qui se sont intéressées et mobilisées – facteurs, harpistes (y compris de harpe classique), compositeurs, enseignants – pour que vive la harpe celtique, est stupéfiant, L’énergie dépensée est prodigieuse. Ils ont permis à notre petit instrument d’atteindre le niveau d’excellence de n’importe quel autre en moins d’un siècle.
Quel regard portez-vous sur l’enseignement musical aujourd’hui ?
Votre question est très vaste. Plutôt que d’enseignement musical je préfère me concentrer sur l’enseignement de la musique. Tout d’abord je constate que l’on apprend beaucoup mieux la musique aujourd’hui qu’autrefois : il est évident qu’on l’enseigne beaucoup mieux aussi. Ceci dit si cet enseignement a beaucoup changé, c’est peut-être parce que le concept de musique, lui-même s’est énormément modifié. Le changement qui m’a sans aucun doute le plus intéressée, c’est l’ouverture des portes du conservatoire : grâce à une politique culturelle intelligente, on a enfin donné accès à la musique au plus grand nombre. Je suis persuadée que l’on a ainsi découvert des talents à côté desquels on passait sans le savoir. En effet dans les années 60, la musique était souvent affaire de classe sociale. La musique était presque dynastique : on jouait de la harpe comme sa mère ou sa grand-mère parce qu’il y en avait une à la maison, pareil pour le piano ou le violon. L’autre critère était morphologique : on était fait pour cela, ou non. La création des écoles de musique et la réflexion pédagogique qu’elle a automatiquement générée, sont des avancées sociales majeures et incontestables. Du coup, l’enseignement s’est organisé, ce qui est plutôt une bonne chose, mais d’un autre côté, on a cru nécessaire de scolariser la musique. C’est l’envers de cette médaille. En effet, il est un peu dommage de tenter de régler des problèmes relatifs à la transmission de l’art avec les outils de l’école de Jules Ferry. Je suis donc réservée par rapport à un règlement qui, si l’on n’y prend pas garde, peut exclure autant que le système des classes sociales. Il n’y a pas de bonnes raisons d’exclure un musicien-élève motivé et engagé. Le tout est de considérer justement le « musicien-élève », à la rigueur « l’élève-musicien », plutôt que « l’élève ». Il est compliqué, comme toujours, de concilier ouverture et exigence de qualité. Il faut évidemment y réfléchir.
Votre dernier enregistrement « Chall ha Dichall » est sorti en 1998. N’avez-vous pas eu envie depuis cet opus d’enregistrer à nouveau et de livrer vos propres interprétations ?
J’ai un rapport difficile avec la musique enregistrée. Je préfère de beaucoup aller au concert. L’enregistrement était, autrefois le couronnement d’une carrière, un genre de bâton de maréchal. De là à dire que l’on enregistrait lorsque l’on ne pouvait plus jouer… Pour ma part, j’aime inventer, improviser, établir un contact, en un mot « faire équipe avec les auditeurs ». Je suis donc dans le mouvement plutôt que dans la statique que suppose la gravure sur un disque.
Pour ce qui concerne la 2nde partie de votre question je me réfèrerai au philosophe P. Ricoeur qui disait en parlant des livres « le lecteur est absent à l’écriture». C’est ce qui entraîne le lecteur à se construire une histoire parfois bien différente de celle qui a été écrite. C’est pareil pour la musique. L’interprétation est une réécriture, et savoir comment les musiciens vont s’approprier ma musique m’intéresse beaucoup plus que de la jouer moi-même. Comme tous les compositeurs, je rêve d’entendre ma musique jouée par d’autres. Enfin, je ne me satisfais que très rarement de ce que je joue, donc en laisser trace à nouveau me semble insurmontable.
Déjà dans le livret de ce disque vous écriviez au sujet de la harpe celtique que « son aptitude à traverser le temps et les frontières musicales comme celles des nations a fait d’elle un instrument de musique à part entière. » Cela semble avoir toujours été pour vous un objectif premier que de sortir la harpe celtique de son carcan identitaire afin que « d’instrument d’une musique, elle devienne instrument de musique » ?
Oui, c’est vrai, depuis très longtemps, depuis que j’ai commencé la harpe à pédales : offrir à notre instrument une littérature multiculturelle et une vraie reconnaissance institutionnelle, est une sorte de quête. Nous n’y sommes pas encore complètement mais je ne perds pas espoir. N’est-ce pas un beau destin pour un instrument promu, par les Celtes, pour être précis, on devrait même dire par les Bretons ? La harpe celtique vient de faire son entrée aux épreuves du bac TMD (anciennement F11) à la session de juin 2016. Il s’agit d’une reconnaissance officielle de l’Éducation Nationale de la harpe comme instrument de Il faut maintenant s’attaquer à ce qui se passe après le bac où la harpe celtique reste l’instrument d’une musique.
Vous avez également accompagné de nombreux poètes, beaucoup joué avec le conteur Alain Le Goff, construit un échange avec Paul Taylor, poète et professeur à l’université de Rennes, lors de vos travaux de recherche (rencontre qui a donné lieu notamment à l’ouvrage collectif par 9 « artistes-chercheurs » intitulé « La poétique et la musique en éducation, croisement de regards créateurs »). Le rapport entre mots et musique, ou plus largement l’interaction entre les arts, est-il important à vos yeux ?
Absolument capital. Les mots sont une forme de la musique. J’ai eu la chance de rencontrer de nombreux et très grands poètes. Ils m’ont tous dit que ma musique était poésie. Je pense que ce qu’ils voulaient dire était « la musique est poésie » ou pour le dire autrement « le savoir chanter est une autre forme du savoir rimer ». Les poètes sont toujours étonnés d’apprendre que je n’entends pas, en jouant avec eux, le sens des mots qu’ils utilisent, seulement la résonance de leurs agencements ; c’est ce qui me permet de les accompagner en improvisation. Il s’agit en quelque sorte d’un contre-chant. Pour les contes c’est un peu différent, je travaille comme pour la musique de film.
Enfin plus que de rapport entre les arts, je préfère parler de complicité. Mais là aussi avec quelques réserves. Ce serait un peu long à développer mais je crois qu’il serait parfois important de redéfinir la notion d’art, ce qui n’est pas une mince affaire. D’ailleurs je me demande parfois si ce n’est pas une notion finalement un peu individuelle.
Comment est née votre rencontre avec François Pernel ?
François Pernel s’est présenté au concours international que Jakez François organisait à Nantes. J’étais dans le jury. Il a proposé, en morceau de libre choix, une pièce de mon amie, la très regrettée Kristen Noguès. J’étais charmée par la qualité de l’interprétation mais aussi très surprise d’entendre ce morceau dont je savais qu’il n’était édité nulle part (Kristen ne voulait pas que l’on joue ses œuvres). François Pernel avait tout pris d’oreille sur un CD. C’est donc Kristen et Jakez François qui m’ont fait rencontrer François Pernel.
Comment est née l’idée d’un projet de disque avec François Pernel ?
C’est une idée de François Pernel. Il m’a entendue un jour à Dinan jouer Excalibur, Fantasmagories ou St Efflam, je ne sais plus. Il m’a demandé si j’avais écrit d’autres choses. Je lui ai dit que j’en avais plein mes placards. C’est alors qu’a germé cette idée. Il a souhaité rendre hommage à celle qu’il considérait comme l’une des bâtisseuses de la harpe celtique. Il a d’abord écrit un morceau qu’il a appelé « Gwerz pour Mariannig ». Il l’a joué à Dinan, j’étais très émue. Puis il a pensé que la meilleure chose pour laisser une trace de cette époque pionnière de la harpe celtique, était de graver un CD. Il a choisi mon travail. Je me suis sentie très honorée et même un peu dépassée, par sa démarche.
Comment s’est concrétisée votre collaboration, comment avez-vous travaillé ensemble ?
Nous avons d’abord fait connaissance. Nous avons commencé par de nombreux entretiens téléphoniques. Je lui ai raconté pêle-mêle les débuts d’écriture à la Telenn Bleimor sur des dos d’enveloppe, puis les cours d’harmonie et de composition de mes maîtres G. Dandelot et J. Richer. J’ai évoqué les heures d’écriture chaque soir après les cours au temps où le répertoire de harpe celtique n’existait pas, ni la photocopieuse, alors que trente élèves étaient inscrits à la classe du conservatoire de Brest. Les anecdotes ne manquent pas. Puis il est venu chez moi explorer mes placards. Il a déchiffré beaucoup de choses, bref, nous avons fait de la musique. Il m’a demandé des directions d’interprétation, il a joué sur ma harpe, il s’est mis, comme disent les comédiens, dans la peau du personnage.
Comment s’est faite la sélection des œuvres qui y sont interprétées ? Cela a-t-il été difficile ?
Difficile n’est peut-être pas le mot, disons délicat. Nous en avons pris grand soin. J’aurais aimé qu’il enregistre Baleaden an ene (pièce concertante pour harpe celtique, cor anglais et orchestre à cordes) et quelques pièces de musique de chambre : j’aime beaucoup mélanger les timbres. Mais il était compliqué de réunir tant de musiciens.
Nous avions d’abord envisagé de ne faire figurer que de la musique composée avec mon école d’écriture. Finalement il nous a semblé important de rappeler mes racines – celle de l’instrument – et de montrer les deux faces de cette double-culture (bretonne et classique) dont j’ai la grande chance d’être issue. François a travaillé les morceaux et nous nous sommes réunis régulièrement pour les relire ensemble. J’hésitais entre le laisser s’approprier ma musique, comme j’aime tant le faire avec mes interprètes, et guider ses mains. Il a préféré que j’imprime cet album de ma « patte ». Il voulait donner à cet enregistrement une dimension historique : j’ai été parmi les premières à écrire pour la harpe celtique de manière régulière et avec ce langage-là. C’est d’ailleurs pour cela que le 1er morceau du disque est la gwerz Ker Ys jouée par moi sur ma harpe, et le dernier est la même gwerz, jouée par lui, dans son interprétation, sur Excalibur. Il s’agit d’une passation de témoin, en quelque sorte.
Comment s’est fait le choix du lieu de l’enregistrement du CD ? Saint Gildas de Rhuys a une résonance particulière pour vous…
St Gildas est le lieu de mon enfance. Travailler dans les pas d’Abélard me semblait de bon augure. Les pierres de l’abbatiale résonnent depuis plus de mille ans, elles ont l’âge du roi Brian Boru. Je trouve que la prise de son – œuvre de François Pernel lui-même – et le travail de mixage de Gurvan L’helgouac’h sont, de ce point de vue, une vraie réussite. Je retrouve dans l’album, la sonorité si particulière de l’église romane de ma jeunesse, mais aussi l’odeur de l’encens qui se mélange à celle du pain béni que les enfants de chœur distribuaient à la sortie de la grand’messe lorsque nous étions enfants. Je remercie François d’avoir accepté de jouer dans cette église où les conditions étaient très difficiles et la municipalité de St Gildas de nous avoir prêté les lieux : ce n’est pas forcément aisé de travailler dans un monument historique.
Je voudrais rajouter que Jakez François s’est très heureusement invité dans cette histoire. Il a très vivement encouragé et soutenu le projet. Un clin d’œil pour tout cela, la harpe sur laquelle François Pernel a enregistré ce disque s’appelle Excalibur, comme l’un de mes morceaux les plus joués, les plus enregistrés.
Des projets à venir dont vous souhaiteriez nous faire part ? Souhaiteriez-vous nous en dire plus sur « Les Bonheurs de Sophie » ou de futures publications ?
Je continue d’écrire de la musique. Je travaille sur un projet qui concerne principalement (mais pas seulement) la musique de gwerz, avec un fil conducteur écrit par un poète.
Je cherche un éditeur pour « Les bonheurs de Sophie». Il s’agit d’un tout petit livre illustré écrit pour expliquer aux jeunes musiciens-élèves à quoi sert de faire du solfège. Il se trouve que, à l’issue de mon cursus universitaire, j’ai eu la chance d’intégrer le Centre de Recherche sur l’Éducation, les Apprentissages et la Didactique (CREAD). J’ai alors choisi de travailler sur l’oral et l’écrit et sur l’enseignement et l’apprentissage du solfège. Les bonheurs de Sophie sont le fruit de ce projet de recherche. Il fait suite à « objectifs de cycles », également écrit dans le cadre de mon projet de recherche et destiné aux élèves des classes de harpes. Il a été publié par la mairie de Lorient.
J’aimerais également publier mon livre « Et la harpe devint celtique …» qui, lui, est le fruit d’un autre travail de recherche effectué aussi à l’université Rennes 2, mais au département de culture bretonne et celtique. Ce livre tente d’éclairer d’une lumière nouvelle, l’apparition de la harpe celtique dans le paysage culturel. Il se termine par une galerie de portraits : ceux qui ont fait que notre instrument est ce qu’il est aujourd’hui. Les travaux de recherche s’arrêtent volontairement en 1965. Après c’est une autre histoire….. sans doute un autre projet de recherche.
Très intéressant cet entretien !!