Le blog des Harpes Camac
« Chaque note qui résonne »: entretien avec Rossitza Milevska
Actualités
20 mars, 2024
Rossitza Milevska est l’une des harpistes les plus polyvalentes et les plus talentueuses dans l’univers du jazz. De formation classique, elle a été la première harpiste à être diplômée de jazz au conservatoire de Nice. En 2022, elle a attiré l’attention d’Ibrahim Maalouf, qui l’a invitée à rejoindre son Free Spirit Ensemble avec lequel elle se produit régulièrement. Nous l’avons rencontrée avant son concert à l’Espace Camac cette semaine, pour parler de musique, de projets et d’inspiration.
Ayant grandi en Bulgarie, les premiers pas de Rossitza dans le monde musical étaient, comme pour beaucoup d’enfants européens, dans l’atmosphère feutrée du conservatoire : « j’ai été immergée dans l’univers des grands compositeurs classiques grâce à ma formation dans une école de musique spécialisée où seul le classique était à l’honneur. »
Bien que cela soit certainement positif d’un point de vue culturel, cela signifie que l’horizon musical n’était pas vraiment large : « À cette époque, d’autres genres étaient malheureusement relégués au second plan. Cependant, la découverte d’Internet et l’accès à des radios internationales ont marqué un tournant dans ma vie musicale. J’ai été émerveillée par les œuvres d’artistes tels que Earth Wind and Fire, George Benson, Whitney Houston,Michael Jackson, Stevie Wonder, Babyface, George Michael, Chick Corea, Bill Evans, Miles Davis…»
Cette ouverture des possibles a conduit Rossitza à une profonde découverte artistique, qui allait régir son art à l’avenir : « J’ai compris que la musique devait vous faire vibrer et que l’on pouvait se sentir encore plus libre quand on écrit sa propre musique et quand on ose improviser. »
Par nécessité, cela a aussi rendu Rossitza musicalement débrouillarde : « Mon adolescence a été enrichie par des amitiés avec des comédiens passionnés par les comédies musicales de Broadway, ce qui m’a permis d’apprendre à jouer à l’oreille des thèmes célèbres au piano. Nous relevions les partitions des chansons, un vrai défi à l’époque en Bulgarie où l’accès aux partitions était limité.
Ces amis m’ont également initiée aux duos légendaires d’Ella Fitzgerald et Louis Armstrong. L’art de l’improvisation m’a été révélé en déchiffrant leurs enregistrements, tout comme l’univers de George Gershwin. Le monde s’est ouvert à moi, vibrant de couleurs et de possibilités, m’invitant à explorer la musique sous toutes ses formes. »
Comme beaucoup de jeunes musiciens, Rossitza a commencé sa formation musicale au piano. Des harpistes de jazz comme Corky Hale et Stella Castellucci ont écrit sur la façon dont le clavier influence leur approche de la harpe. Est-ce que c’était pareil pour Rossitza ?
« Mon parcours musical a débuté par une profonde affection pour le piano, que j’ai commencé à explorer dès l’âge de 6 ans. Ce fut mon premier contact avec la musique, un début qui m’a ensuite menée à la découverte de la harpe classique. Contrairement à la norme, j’ai eu l’opportunité exceptionnelle de compléter mon éducation musicale en me spécialisant dans deux instruments classiques principaux. Avant moi, personne n’avait obtenu de diplômes dans deux disciplines principales, ce qui rendait la situation assez unique.
Parallèlement à cette formation officielle, et en quelque sorte en secret, je développais des mélodies et des arrangements pour le piano, avant de tenter de les adapter à la harpe. Ces essais étaient souvent infructueux, principalement parce qu’il n’y avait personne autour de moi pour guider mon exploration des styles jazz et pop à la harpe en Bulgarie. Le piano m’a cependant apporté une base solide, améliorant ma rapidité d’esprit et ma capacité à adapter les chansons sur-le-champ, ce qui a solidifié ma croyance que tout était également possible à la harpe. »
Si c’est avec la harpe que Rossitza s’est forgé une carrière enviable, elle garde un profond sentiment de gratitude pour ses études classiques au piano classique :
« Le piano, tout en étant le fondement de mon incursion dans le jazz à la harpe, a été complété par ma formation en musique classique qui m’a équipée des connaissances nécessaires pour exceller. Grâce au piano, j’ai également pu travailler avec des professeurs de jazz exceptionnels au conservatoire de Nice, ce qui m’a permis d’intégrer progressivement la harpe dans le jazz, défiant les attentes et prouvant que le jazz à la harpe est non seulement possible mais profondément enrichissant.»
Cela signifie également que Rossitza puise dans une grande variété d’inspiration, dans tous les styles :
« Je trouve mon inspiration dans les œuvres de compositeurs et d’artistes de toutes époques. Pour n’en nommer que quelques-uns, sans ordre particulier : Bach, Chopin, Rachmaninov, Tchaïkovski, Debussy, Bernstein, Yo-Yo Ma, John Williams, Bobby McFerrin, Michael Jackson, Quincy Jones, Jacob Collier, Bill Evans, Take 6, Sylvain Luc, Richard Bona, Pat Metheny, Beyoncé et En Vogue. Ma liste est infinie. »
En ce qui concerne la harpe, Rossitza a été galvanisée par les artistes comme Deborah Henson Conant : « L’exemple de Deborah Henson-Conant, qui chantait en s’accompagnant à la harpe, a été une grande source d’inspiration pour moi. » Elle s’est en outre inspirée de Dorothy Ashby, Lori Andrews, Jakez François et Park Stickney.
La connectivité de la communauté internationale de la harpe lui a également permis d’établir des contacts fructueux avec une foule d’autres artistes. Au cours de ses voyages, elle a pu échanger des idées avec Edmar Castañeda, Motoshi Kosako, Amanda Whiting et Ben Creighton Griffiths :
« Le monde regorge de belles découvertes ; il suffit de rester ouvert d’esprit et de se laisser emporter par chaque note qui résonne.»
Lors du concert qu’elle donnera chez nous à Paris, Rossitza sera accompagnée de Jérôme Achat. Nous lui avons demandé en quoi le fait de travailler avec un batteur en tant que harpiste est-il si particulier ?
« Jouer avec un batteur tel que Jérôme Achat est toujours un plaisir […] Un duo harpe-batterie est assez inhabituel, exigeant une écoute attentive et une adaptation constante aux propositions musicales de l’autre. Cela implique de saisir les nuances, de choisir le moment idéal pour s’exprimer et de laisser de l’espace à l’autre. C’est une conversation musicale qui crée une ambiance magique, tout en préservant la beauté de la musique et le plaisir du partage. »
Bien sûr, nous sommes fiers que Rossitza choisisse Camac pour son travail : « L’utilisation de la harpe électroacoustique Camac enrichit chaque aspect de notre duo. Elle me permet d’explorer différents sons et moyens d’expression. J’apprécie particulièrement l’équilibre entre le son acoustique naturel de la harpe, qui dialogue avec la batterie, et les possibilités qu’elle offre pour une expression musicale pleine et riche. »
Nous vous encourageons tous à venir partager cette expérience enrichissante, ces atmosphères magiques et la spontanéité de ce duo à l’Espace Camac le 22 mars – l’entrée est gratuite sur réservation.