Le blog des Harpes Camac
Académie Camac 2016
Actualités
12 juin, 2016
Souvent, l’un des meilleurs moyens de permettre à un musicien prometteur de développer pleinement son talent est de lui ouvrir l’accès à des cours individuels et aux meilleures conditions d’étude possibles, avant de le laisser voler de ses propres ailes. Les meilleures universités et conservatoires appliquent cette méthode depuis des siècles. Malgré cela, la pression est de plus en plus forte pour justifier ce fonctionnement. Si l’on regarde cela sommairement d’un œil extérieur, cette méthode donne l’impression d’offrir peu et de coûter beaucoup, et l’on constate ainsi que les classes s’agrandissent de plus en plus et que la diversité des cours et parcours (que les élèves sont tenus de suivre) s’élargit également. Si bien que tous les professeurs de conservatoire vous le diront : le temps vient à manquer… Les élèves n’ont plus le temps de répéter, plus le temps de préparer les programmes conséquents des concours, plus le temps de se pencher sur leur avenir après le conservatoire. Les professeurs également manquent de temps, que ce soit pour leur travail d’artiste et/ou de recherche.
Revenez au modèle élitiste, et soudain, votre temps vous appartient à nouveau. Ce n’est pas meilleur marché : au lieu de payer pour des cours, vous payez pour du temps, et le temps est précieux. Ce que les instances politiques ont souvent plus de mal à accepter, c’est que vous misiez aussi sur la confiance : laissé(e) libre de faire ce qu’il vous plaît, vous pouvez tout aussi bien ne rien faire. Mais le fait que quelque chose pourrait peut-être échouer ne signifie pas qu’il ne faut pas le tenter. Si personne ne prenait le risque de mettre en place un projet qui pourrait ne pas aboutir, il deviendrait difficile de faire quoi que ce soit, et très probablement, la musique n’existerait même pas.
C’est de cette idée qu’a germé le concept de notre Académie Camac. Nous y avons convié cinq de nos jeunes clients afin qu’ils bénéficient d’un cours quotidien avec un professeur fantastique, en leur mettant à disposition de très bons instruments et en leur proposant d’excellentes conditions de vie, tout en les laissant s’approprier cela comme ils le souhaitent. Lors des deux dernières éditions de l’Académie, nous nous sommes rendus dans un endroit magnifique en Provence, dans un mas rempli de livres passionnants sur toutes sortes de sujets, au beau milieu d’un paysage splendide. Nous avons alors installé notre bureau sous la glycine et les élèves allaient et venaient, discutaient avec nous ou travaillaient de leur côté dans la paix et la sérénité, comme bon leur semblait. Nous n’avons pas organisé de concert de clôture : ces concerts sont souvent d’excellents moments, mais ils impliquent que les élèves passent toute la semaine à travailler un morceau en vue de ce concert, alors que finalement, vous auriez pu passer plus de temps à échanger sur la façon de jouer des accords et des gammes (et avec Isabelle Moretti, il est possible d’en parler pendant des heures !).
Le troisième jour, Isabelle a annoncé que les cours individuels seraient annulés ce jour-là et remplacés par un cours collectif de cinq heures sur les méthodes de travail. Ce qui m’a marquée cet après-midi-là, c’est combien Isabelle a insisté sur la notion de lucidité. Vous devez vous fixer des objectifs clairs en rapport avec votre niveau général : monter une pièce au tempo et la mémoriser au moins pour moitié en quinze jours par exemple. Il est aussi nécessaire de mettre en place une méthode concrète pour atteindre ces objectifs, ne pas juste s’assoir derrière sa harpe pendant des heures. Réussir à jouer de la musique au plus haut niveau ne doit rien au hasard. Lorsque vous entendez un grand artiste jouer, il est difficile de s’imaginer ce morceau joué différemment. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de place pour une autre interprétation : écoutez un autre grand artiste le lendemain, interprétant la pièce autrement, et à nouveau, vous ne pouvez imaginer ce morceau différemment. Une sorte de logique musicale est profondément ancrée dans toute grande prestation, faisant oublier au spectateur tout ce qui l’entoure et lui donnant d’un coup la sensation que l’instrument lui parle directement.
Tous ceux qui ont eu la chance de travailler avec de grands professeurs relatent leurs expériences, souvent très profondes. Souvent, ces moments sont autant de déclics qui donnent le sentiment que le grand monde de la musique se déroule soudain devant nos yeux, et plus rien n’est jamais pareil. Une nouvelle façon de penser et de percevoir s’offre à nous et nous accompagne longtemps, bien après que le travail avec ce professeur soit terminé. Sans surprise, c’est souvent lors de stages que ces moments surviennent, car ce sont des occasions de rencontrer de grands pédagogues et de bénéficier de toutes sortes d’expériences avec les autres stagiaires, mais aussi car ce sont des moments où l’on se consacre uniquement à la musique. Les universités les plus élitistes interdisent aux étudiants de prendre un emploi pendant les périodes de cours, car ils sont sensés se consacrer à leurs études et en dehors des cours, enrichir leurs horizons par le biais de la lecture, du théâtre, du sport, des débats, des arts culinaires, de l’apprentissage d’autres langues, des arts du cirque, ou de toute autre activité qui leur permettra de devenir des adultes curieux et intéressants. Nos deux dernières Académies Camac ont été largement enrichies par la présence de notre hôte, Michael Frost, grand esprit à l’insatiable curiosité, et preuve vivante que la passion pour la musique mène à la passion de bien d’autres choses.
L’éducation est souvent sujette à des réformes auxquelles on ne laisse pas assez de temps pour qu’elles fonctionnent réellement. Les approches pédagogiques sont de plus en plus approfondies, mais ce sujet n’est que rarement abordé. La société ne doit pas privilégier l’élite au détriment de tous les autres, mais elle doit tout de même mettre en valeur les personnes les plus talentueuses dans leur domaine et leur offrir les meilleurs outils pour parvenir au plus haut niveau.
Pour les jeunes artistes qui ambitionnent une carrière au sein d’un orchestre ou encore de concertiste, il n’y a d’ailleurs pas d’autre choix. Par définition, ils veulent jouer de la musique classique du mieux possible, et c’est ce niveau qui leur ouvrira la porte vers l’expérience musicale la plus profonde et la plus pure. Nous nous rendons à un concert pour toutes sortes de raisons, mais ce n’est pas simplement parce que les fauteuils sont confortables ou que vous connaissez le groupe que vous reviendrez. Vous aurez envie de revenir pour vivre des émotions et des sensations que vous ne soupçonniez pas forcément auparavant (et qui n’ont d’ailleurs pas nécessairement à voir avec votre propre vécu), mais qui vous élèvent de par la beauté ou la puissance de leur message. Une expérience qui vous change d’une certaine manière et qui vous accompagne bien après que les applaudissements se sont tus…
Super article qui fait comprendre pourquoi certain/e/s arrivent à atteindre un top niveau.
Merci.